On nous parle sans arrêt de « grandir », « d’évoluer », de « se réaliser ». Concrètement, qu’est-ce que ça veut dire, tout ça ?

Parce que bon. « Devenir soi-même », c’est une idée somme toute paradoxale ! Est-ce qu’on peut être autre chose que soi-même ?

Discutons un peu de tout ça. Parce qu’il y a ici un énorme écueil, un grand danger qui nous guette, quand on cherche à faire du « développement personnel » : chercher à devenir une version idéalisée de soi-même. Et donc, en réalité, chercher à devenir quelqu’un d’autre, et donc chercher à se nier, à se faire violence, et à se tordre pour devenir un bel objet, un bon outil, une « bonne personne ».

L’autre écueil, c’est de croire qu’il est satisfaisant de se laisser aller à être tel qu’on est sans faire le moindre effort de prise de conscience. Non pas que ça soit mal en soi. Mais ça nous limite, de fait, à subir nos automatismes et à rester emprisonnés dans tout un tas de mécanismes inconscients.

Je crois (c’est une croyance basée sur l’expérience d’un modèle qui est plus satisfaisant pour MOI, et pas une vérité que je m’autoriserais à imposer) que « moi-même », ça n’est NI l’image idéalisée de moi que j’aimerais devenir, NI tous mes automatismes inconscients. C’est justement autre chose. Et c’est cet « autre chose » que je découvre de mieux en mieux chaque jour en « grandissant ».

Bref, je vous propose un changement de paradigme. Je vous propose un modèle de l’évolution personnelle qui soit utilisable et facile à comprendre. Je vous propose de vous faire part des objectifs que j’utilise moi, dans ma vie à moi, pour « évoluer ». Je trouve que ces objectifs sont plus efficaces pour arriver à un niveau de liberté et de bien-être intérieurs satisfaisants dans la durée. Et surtout qui dépendent moins des circonstances extérieures.

D’abord, se connaître soi-même.

Vraiment. Intimement. Avec lucidité. Clarté. Honnêteté.

Ici, je parle de voir clairement notre propre fonctionnement mental, culturel, perceptuel. Mais aussi notre fonctionnement émotionnel, sentimental. Et bien sûr le fonctionnement de notre corps, de nos pulsions, de nos besoins physiologiques. Et les liens qui existent entre tout ça.

Se connaître soi-même, par exemple, c’est savoir que quand on a faim, on ne voit pas le monde de la même manière que quand on a le ventre plein. Que la peur change tout dans nos capacités. Que notre manière de découper le monde en catégories modifie notre perception. Que les données transmises par nos organes sensoriels sont filtrées par un million de facteurs dont nous n’avons pas même pas conscience. Etc, etc.

Se connaître soi-même, c’est aussi avoir conscience de nos peurs, de nos phobies, de nos traumatismes. C’est voir notre part sombre : violente, méchante, jalouse, sadique. C’est accepter que toutes ces parts de nous existent, et de voir de mieux en mieux les automatismes qui sont actifs, en nous, et qui nous font agir, sentir, penser à leur guise, malgré nous. Qu’ils ont été nos maîtres, en quelque sorte. Et petit à petit d’arriver à en faire des alliés, voire des serviteurs, selon le cas.

C’est là que le non-jugement intervient. Il faut arrêter de se juger pour pouvoir voir calmement et lucidement notre fonctionnement. Sinon c’est trop dérangeant, et on ferme vite les yeux.

Ensuite, être de plus en plus libre.

Il y a la liberté matérielle, extérieure. Je ne nierai jamais son importance, évidemment. Mais ici je parle de la liberté intérieure. Elle est bien plus difficile à acquérir. Et bien plus satisfaisante.

Quand on vit et qu’on réagit sur la base d’automatismes, en suivant nos schémas pré-installés sans conscience, on n’est pas libre intérieurement. On peut l’être extérieurement, mais cette liberté n’est que partielle.

Exemple classique : je suis riche, beau gosse, et depuis toujours, j’ai toujours tout ce que je veux. Admettons.

Un jour, je croise la route d’une jolie étudiante, stagiaire dans ma société de courtage. Mon pulsionnel s’active, mon instinct de reproduction le plus basique me pousse en avant. Ma libido déborde. Et je me retrouve à biaiser un peu mon éthique pour me rapprocher d’elle, prétextant des impératifs professionnels. Et de fil en aiguille, on s’entend plutôt bien. La relation glisse petit à petit vers quelque chose de plus intime. Depuis le début, ma conscience me titille à l’oreille que ça n’est pas très conforme à mes objectifs de vie, à mes engagements, au bien-être de ma famille, à mes projets… mais ma libido l’emporte. J’ai finalement une histoire avec elle. Je me sens revivre. Je suis tout émoustillé. Le sexe avec elle devient une priorité dans mon planning, au détriment de tout ce que je faisais avant. Etc, etc.

Est-ce que je suis vraiment libre ?

Est-ce que, dans l’histoire, c’est moi qui décide ? Ou est-ce que c’est ma libido ? D’où vient mon choix, en réalité ? Qui décide ?

Et au moment où ma libido se réveille, en voyant cette petite stagiaire de 25 ans toute mignonne, est-ce que je ne peux pas choisir une autre voie que de simplement lui laisser le champ libre ? Une voie où, au lieu de me soumettre bêtement à mon instinct de base, je pourrais apprendre à mieux me connaître grâce à tout ça, pour être encore plus libre (vraiment libre) après ?

Par exemple, si j’ai un minimum de conscience de ce qui se passe en moi, je peux simplement observer que ma libido se réveille, comprendre que c’est la survie de l’espèce qui cherche à s’exprimer à travers moi, être conscient du fait que le chamboulement hormonal que je ressens ne mérite peut-être pas que je saccage mon couple, ma famille et mon planning. Je peux aussi aller plus loin, et me rendre compte qu’en fait je m’emmerde royalement dans mon couple depuis des années. Que ma vie sexuelle est d’une monotonie sans fond. Que je ne suis pas heureux, et que j’ai des choses à changer dans ma vie pour être plus heureux et plus épanoui ?

Evidemment, le changement dont j’ai besoin, ça peut être de décider de quitter ma femme pour partir avec la stagiaire. Je ne suis pas là pour jeter la pierre à qui que ce soit. Je suis là pour décrire un processus : de quitter ma femme pour partir avec la stagiaire de manière choisie et délibérée serait très différent du premier scénario. Profondément différent. Parce que c’est un CHOIX, justement. Et pas seulement une déferlante hormonale qui emporte mon libre-arbitre avec lui.

Et accessoirement, ce genre de choix permet de faire les choses avec plus de respect de soi et des autres, et d’éviter beaucoup d’effets secondaires (qui sont souvent désastreux).

La liberté intérieure, dont la connaissance de soi est l’un des ingrédients les plus indispensables, permet donc d’agir et de vivre sa vie de manière délibérée, au lieu de simplement la subir, comme un poisson mort qui descend le courant.

« Évoluer », en clair, c’est :

  • se connaître de mieux en mieux soi-même, en utilisant les expériences que la vie nous propose comme miroir pour se voir soi-même plus clairement ;
  • agir de manière de plus en plus délibérée, sur la base d’un choix, donc, et de moins en moins sous le joug de nos automatismes.

Ça revient à exprimer un peu plus clairement, dans le monde, qui on est réellement. Autrement dit, « devenir de plus en plus soi-même ». A réaliser (rendre réelle) notre intention.

Cet apport, au monde, de notre intention individuelle, est une richesse énorme. C’est cette expression consciente, libre et pleinement choisie de soi qui crée, qui innove, qui permet la diversité, l’évolution collective, et quelque part la beauté de l’humain, aussi. Enfin c’est mon humble avis.

Rendre à César

Ces réflexions ont été largement permises et facilitées par l’apport, principalement, de deux personnes, à qui je me dois de rendre les honneurs qu’elles méritent : Valériane Barthelemy et Marie-Anna Morand. La seconde m’a permis d’ajuster beaucoup mieux mon rapport à moi-même, et à prendre conscience de la distinction fine mais incroyablement importante entre « un sujet » et « un objet ». La première m’a permis d’acquérir de nombreux outils conceptuels et pratiques qui m’ont aidé à acter tout ça dans ma vie.